mercredi 16 mars 2011

Chapitre 3: les anglais et la santé

Un mois après mon arrivée en Angleterre, je suis tombée malade. 
J’ai donc fait ce que n’importe qui ferait : j’ai appelé un médecin pas trop loin de chez moi pour prendre rendez-vous. Malheureusement, en Angleterre, les choses ne sont pas aussi simples.
« Bonjour, je voudrais prendre RDV avec un médecin siouplaît.
-         Votre nom ? … Vous êtes pas inscrite chez nous. Vous devez donc venir ici pour vous inscrire au cabinet. Quelle est votre adresse ? … Bon, de toute façon on refuse les patients qui habitent au-delà de Machin Street, donc vous êtes pas dans notre rayon, faudra chercher un autre cabinet.
-         Ah bon. Mais j’habite la rue juste en face. C’est que je veux juste voir un médecin. Je suis malade et…
-         Bah non, pas chez nous. Au revoir ! Raccroche »
Ca, c’est fait. Bon, j’appelle donc un autre numéro.
« Bonjour, je voudrais prendre RDV avec un médecin siouplaît.
-         Votre nom ? … Vous êtes pas inscrite chez nous. Faut que vous veniez vous inscrire. Venez au cabinet. Raccroche »
Ca, c’est re-fait.
Je me déplace donc jusqu’au cabinet, où une queue d’environ 20 personnes s’étend devant la réception dans une salle surchauffée au moins à 50°C. Je suis à deux doigts de clamser, mais je me mets docilement dans la file. Deux heures et 80% de patience en moins, c’est mon tour. On me donne un questionnaire médical à remplir et aussi un flacon vide à remplir. Il est ici nécessaire de préciser les informations requises sur le questionnaire pseudo-médical : êtes-vous obèse ? Fumez-vous ? A quelle ethnicité appartenez-vous ? Quelle est votre orientation sexuelle ? Quelle est votre religion ? Avez-vous de l’asthme ? Avez-vous commis des crimes passibles de peines de prison ? Bref. Je remplis mes deux tâches et reviens vers la réceptionniste.
« Bon je peux prendre RDV maintenant ?
-         Ah non, pour voir un médecin, faut appeler le matin, à 8h, et on vous donnera un RDV le jour même. »
Bon. Je me dis, il est vendredi, je vais morfler tout le week-end sans voir un médecin, pas de souci. Lundi matin 8h, j’appelle. Evidemment et de façon prévisible, ça sonne occupé. Et occupé. Et occupé. Et occupé… A 8h15 je réussi enfin à avoir une réceptionniste au bout du fil. « Comment puis-je vous aider ?
-         Bonjour je voudrais prendre RDV avec un médecin siouplaît.
-         Ah bin désolée mais aujourd’hui ça va pus petre possible, tout est pris. Rappelez demain ! »
Notez que je garde mon calme. Mardi matin, agonisant, je rappelle. Après plusieurs tentatives infrucuteuses, enfin, ça passe, la réceptionniste : « Comment puis-je vous aider ?
-         Bonjourjeveuxvoirunmédecin siouplaît !!!!
-         Ah bin non aujourd’hui ya pus de place. Faut réessayer demain.
-         Oui alors là ça va pas être possible parce que là ça fait plusieurs jours que j’essaie de voir un médecin et ça peut pus attendre.
-         Bin non on a pus de place. Si vous voulez, vous pouvez parler à un docteur au téléphone, il vous dira que faire. Rappelez à 9h45 »
A 9h45, très légèrement énervée, je rappelle. « Je veux parler au docteur de garde-téléphone siouplaît.
- OK attendez une minute (musique classique énervante).
- Bonjouuur ici un docteur à la voix de secrétaire-salope, que puis-je pour vous ?
- Bah voilà, j’suis malade, j’ai ci et ça.
- Ah bin faut venir, oh ! Un rendez-vous à 11h, ça vous va ? »
GNNNNNN…..

Il faut aussi mentionner ici que avant de voir un spécialiste, ici, il faut être à deux doigts de passer l’arme à gauche. En effet comme les médecins sont des fonctionnaires (ce qui garantit la gratuité des consultations, mais aussi la mauvaise qualité des soins, sans compter que les médicaments, c’est pour ta propre pomme dans tous les cas), l’Etat a pas assez de sous pour soigner les gens (surtout les pauvres, qu’est-ce qu’y font chier ceux-là). Donc, admettons que vous soyez une femme, comme moi, et que donc vous pensiez à votre frottis régulier, histoire de pas clapser d’un cancer de l’utérus. Eh bin, chez nous, comme dans les pays civilisés, vous iriez chez le gynéco, et c’est déjà bien assez désagréable. Alors ici, pas de gynéco (eh non, c’est un spécialiste). Donc, si tu veux la pilule, le généraliste te la donne, mais alors prise de sang pour le choléstérol ? Non, rien à foutre, c’est trop cher. Le NHS (Sécu anglaise) ne va sûrement pas payer pour ça. Par contre, en cas de crise cardiaque, ils sont champions niveau expert ++ (on se demande bien pourquoi, mais nous explorerons cette question plus avant dans le chapitre "nourriture").

Quant au frottis, c’est une expérience assez intéressante. Ces actes médicaux d’un caractère si agréable sont exécutés par des infirmières. Ne vous méprenez point : j’aime les infirmières (enfin pas les infirmières belges, mais c’est une autre histoire). Mah alors lorsque j’arrivai au cabinet un jour ultérieur pour faire le dit frottis, c’est Nurse Emma qui m’accueillit avec un charmant « vous voulez un chaperon ? » Gnein ? « Oui, un chaperon, une personne femelle pour préserver vos apparences religieuso-culturelles.
-         Bah, non, mais vu ta tête, j’aimerais bien avoir un témoin quand même, en cas d’erreur médicale, je pense que ça va aller merci. »

Bref, par manque de fonds, les chaises gynécologiques, ici, ça n’existe pas. Alors comment, me direz-vous ? C’est simple, il faut adopter une position yogique compliquée (je vous invite à googler « Karnapidasana », ça vous donnera une idée.) Quant à la délicatesse, faudra r’passer.

Enfin, si vous avez le malheur de devoir faire une prise de sang, soyez prêts à parcourir toute la contrée à la recherche d’une infirmière qui voudra bien la faire. 


La procédure est de parcourir un hôpital après l’autre pour voir qui a de la place, faire la queue pendant environ trois heures dans une salle d’attente bondée et surchauffée où, si vous avez autant de chance que moi, une mémé vous vomira sur les pieds, puis on fera entrer dans un placard où une infirmière vous fera la prise de sang d’une main… limite en faisant une prise de sang à quelqu’un d’autre avec l’autre main.




Mais tout le monde s’étonne malgré ça que les hôpitaux de Calais soient bourrés d’anglais ! Certainement pour la douceur légendaire de nos propres infirmières.




Illustrations: Caroline Herbelin. Reproduction interdite.

lundi 17 janvier 2011

Chapitre 2: les anglais et le chômage

Les anglais sont très, très fiers de leur système social. Ils sont persuadés que l'Angleterre est un paradis et que la vie y est très facile. J'ai entendu à maintes reprises de la part de Britanniques que "c'est incroyable, tous ces gens qui profitent du système sans travailler, c'est pour ça qu'ils viennent tous ces immigrés, c'est pour notre système social, ils vivent comme des rois sans bouger leur cul d'un centimètre". Laissez-moi vous dire que je ne l'ai toujours pas rencontré, ce fameux système social. C'est bien simple: il n'y en a pas.
Les allocations chômages britanniques s'élèvent, pour une personne célibataire, à... 65 livres par semaine. Pour les novices, ça fait environ 77€ par semaine. Donc environ 300€ par mois. Alors, certes, quand on est sans emploi on est censé avoir le droit de recevoir une allocation au logement s'élevant à 80% des frais de loyer... mais il faudra quand même m'expliquer comment survivre avec 300€ par mois d'allocs quand il faut payer les 20% restants d'un loyer londonien, les frais d'énergie, les taxes d'habitations londoniennes, le téléphone & l'internet, les frais de nourriture, et les frais de transport (ces derniers constituant un scandale tel qu'il sera traité ultérieurement dans un article indépendant).
Mais, c’est une opinion largement partagée au Royaume-Uni, que les chômeurs le sont uniquement parce qu’ils veulent profiter de ces avantages tellement exubérants et leur permettant de vivre comme des empereurs, le tout sans travailler (oui, puisque les chômeurs sont tous des feignants). Cette opinion est assumée puisque les journaux et la télévision relaient fréquemment et sans complexes des interviews de politiciens qui mériteraient qu’on les soumette à la Question. De plus, il n'existe pas ou prou de réductions pour chômeurs sur les activités culturelles, sportives, etc... Sans compter la réaction des agents immobiliers ou des propriétaires lorsqu’ils apprennent que vous êtes chômeur. Vous pourriez aussi bien avoir « j’ai ebola » tatoué sur votre front.
Donc, afin de contrôler que tous ces atroces profiteurs ne bouffent pas tous les impôts exorbitants payés par les riches de Chelsea « aider la personne à se réinsérer sur le marché du travail », le chômeur doit se présenter régulièrement au jobcenter (une fois tous les quinze jours pendant les trois premiers mois, puis une fois par semaine). Là, une personne généralement doté du QI d’une huître contrôle la façon dont le dit chômeur s’y est pris pour trouver un emploi. « Vous avez fait du porte à porte ? Vous avez demandé à vos amis de parler à leurs chefs ? » Bref, des exigences sorties d’un autre siècle et complètement décalées des réalités du marché du travail.
Puis, on t’y fait bien comprendre que tu ne dois pas gaspiller l’argent du riche anglais. Et on t’ « aide ».  On te propose des postes correspondants à tes capacités. Dans mon cas, cela a revenu à me proposer un poste de réceptionniste dans un élevage de grenouilles dans le Sussex (autant dire que je l’ai pas trop bien pris, m’enfin après avoir vécu en Belgique, les remarques antifrançaises, j’ai l’habitude).
Enfin, on te donne des conseils. Des conseils hautement utiles. Du genre : « bon, quand vous envoyez une candidature, n’oubliez pas d’écrire une lettre de motivation… vous devez aussi regarder sur internet… respectez les délais de candidatures… ok, la session est terminée, ça vous a été utile ? »  Euh… t’es sarcastique là, ou tu veux une réponse sincère ?
En outre, la discrimination à l’emploi est ouverte et assumée : les employeurs ne s’en cachent pas et n’ont pas besoin d’en avoir honte puisqu’elle n’est pas prohibée et même indirectement encouragée - presque toutes les annonces d’emploi s’accompagnent d’un formulaire soi-disant destiné aux « statistiques » où le candidat est invité à indiquer sa religion, son origine ethnique (Distinction poussée puisqu’on demande de préciser par exemple entre Blanc-Anglais, Blanc-Ecossais, Blanc-Gallois, Blanc-Irlandais, Blanc-Autre), son âge, son sexe, présence d’un handicap ou non, ses préférences sexuelles, nombre de jours de congé maladie pris au cours des deux dernières années.
Il faut dire qu’il ne vaut mieux pas tomber malade en Angleterre… (à suivre)

Chapitre 1: Arrivée en Angleterre, formulaire U2 en main

Il y a quelques mois, après deux ans de bons et loyaux services envers la Commission Européenne, je perdis mon emploi. Ayant accompli les douze travaux d'Herjule et finalement réussi après moults rebondissements à obtenir mes droits au chômage belge, je m'interrogeai sur la démarche à suivre. "Il n'y a pas beaucoup d'ONGs par ici", me dis-je. "Et pour entrer dans celles qui existent effectivement à Bruxelles, à moins de coucher pour obtenir un stage sous-payé, ça va être difficile". En même temps, j'appris la possibilité d'exporter mes droits au chômage. Puis l'idée me vint. Où les ONGs foisonnent-elles à n'en plus finir? A Londres bien sûr! De plus, après avoir lu plusieurs journaux britanniques se plaignant de ces mauvais étrangers venant abuser de leur excellent système social, je me dis: jackpot, à mon tour d'aller vivre du "welfare state".
Aussitôt dit, aussitôt fait - après une autre série d'absurdités administratives bruxelloises pour obtenir le sésame: mon formulaire U2, je pris mes valises et mon maillot de bain et le 19 septembre 2010, je traversai la Manche pleine d'espoir d'une vie meilleure et d'un travail intéressant.
Le premier jour, il fallut régler les démarches européennes nécessaires à ma survie. Selon les papiers, voilà la démarche à suivre: s'inscrire dans un bureau pour l'emploi local, qui confirmera au bureau belge que j'y suis inscrite et contrôlée. Je me présentai donc à mon jobcenter local afin de m'y inscrire.
"Un formulaire U2? Hm... Une minute s'il vous-plaît... Oh, Maureen, un formulaire U2, tu connais ça toi? Non? Moi non plus, mais c'est déja la deuxième qui vient avec ce machin là... Non, le papier dit Belgique... Hm, Mademoiselle, vous êtes française? Oui? Pourquoi alors ce papier vient-il de Belgique? Vous y avez travaillé? (ton incrédule ascendant) oui mais, votre CV dit Bruxelles, Bruxelles c'est en France! Non? La capitale de la Belgique? Mais alors, la Belgique c'est en France non? ... Un Etat à part entière?!?? Une minute, mademoiselle... MAUREEN! J'ai besoin du pass internet pour utiliser google... ... ah effectivement mademoiselle, vous avez raison: la Belgique c'est bien un pays."
Cette remarque me remplit d'une motivation intense. Je me dis, eh bien, si une personne aussi ignare a un emploi et dans la fonction publique qui plus est, je serai bientôt riche et célèbre.
J'envoyai donc régulièrement mes petits formulaires obligatoires en Belgique et attendit de recevoir mes allocations, tout en envoyant des candidatures, malheureusement sans succès.
Le temps passa. Je ne reçus ni allocations, ni invitations à passer un entretien. Le 3 janvier 2011, affamée et sentant peser sur moi la menace du scorbut comme une épée de Damoclès, j'appris par une fonctionnaire belge que mes 4 envois successifs et onéreux du formulaire spécial censé enclencher le virement de mes allocations ne fut jamais reçu. Je réussis, menaces à la clé, à tout de même obtenir deux mois d'allocations sur les six qui m'étaient dûs.
Laissée pour compte par la Belgique - et l'Union Européenne, qui s'avéra à nouveau être dans la pratique une utopie inefficace de type "publicité mensongère", me voilà donc aujourd'hui sans emploi et sans le sou dans ce formidable pays qu'est la Grande Bretagne. L'occasion, donc, de voir ce que vaut ce fameux "welfare state" et de partager mes constatations.